dimanche 26 août 2007

Deezer prend-il ses désirs pour la réalité ?

La musique tient une place assez importante dans ma vie et même si je n'ai suivi dans mon cursus qu'un court module de propriété intellectuelle, il était difficile pour moi de rester insensible et muet face à ce qu’il convient d’appeler l’affaire Deezer.com.

J’ai longtemps hésité avant d’en parler sur un blog qui n’avait pas vocation traiter d’actualité juridique mais puisque cette actualité est partie prenante de mon quotidien d’élève-avocat, pourquoi ne pas faire une exception ?

Pour ceux qui ont suivi cette affaire, Deezer.com, anciennement Blogmusik.net (Service de musique à la demande illimitée et gratuite) serait, aux dires de ses créateurs, passé d’illégal à légal du jour au lendemain par l’intermédiaire d’un accord signé avec la SACEM. La Société des auteurs, Compositeurs et Editeurs de musique a, comme son nom le laisse suggérer, la charge de percevoir et de repartir les droits d’auteur de ses adhérents.

Pour cette raison, elle avait, un peu plus tôt dans l’année, provoqué la fermeture de blogmusik.net aka Deezer ainsi que celle du non moins célèbre radioblogclub au motif que ces sites ne lui versaient aucune redevance à la différence des radios qui lui versent approximativement 5% de leur chiffre d’affaires.

Les deux sites ont par la suite rouvert leurs portes en passant par d’autres serveurs et en ce début de semaine, coup de théâtre, on apprend que la SACEM a décidé de signer un accord avec Deezer.com.

Si l’on se base sur le fait que c’était la SACEM qui avait, en mars dernier, réclamé la fermeture dudit site pour illégalité, le fait qu’elle décide aujourd’hui de signer un accord avec lui laisse entendre qu’elle lui offre par la même occasion l’apparence de la légalité.
L’apparence de la légalité est-elle équivalente à la légalité ?

À en croire les différentes déclarations des co-fondateurs de ce site, l’affaire est entendue et la question ne se pose même pas. Des bannières publicitaires affichent d’ailleurs fièrement le message suivant :

« Vous vous êtes toujours demandé si blogmusik était légal… Ne vous posez plus la question… Blogmusik annonce en première mondiale la signature de son accord avec la SACEM… Pour fêter ça, Blogmusik change de nom…Deezer.com. »

En d’autres termes « Circulez, il n’y a rien à voir » ou plutôt rien à débattre. C’est sans compter sur le droit qui, malheureusement, ne se contente pas d’une simple apparence de légalité. Nous sommes devant le cas d’une société qui prétend être légale parce qu’elle a signé avec la société de gestion collective qui a la charge de percevoir les droits d'exécution, de diffusion, et de reproduction pour le compte de ses artistes adhérents.

Or, la légalité se définit comme le fait de respecter à la lettre la règle de droit et sur ce point, Deezer.com, bien que sur le chemin de la légalité avec cet accord, ne peut pas encore y prétendre faute d’avoir respecté scrupuleusement la loi dictée par le code de la propriété intellectuelle.

L’article L. 213-1 de ce code dispose, en effet, que : « Le producteur de phonogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son. L'autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L. 214-1.».

En vertu de cet article, et sans rentrer dans les considérations techniques de la loi DADVSI, pour mettre à disposition des internautes une reproduction des titres d’un artiste, ce que fait manifestement ce site, Deezer.com se doit ou plutôt se devait d'obtenir au préalable l’autorisation des sociétés qui éditent et produisent les disques de ces artistes. (Un accord avec les producteurs via la SFPP - société française de production phonographique - par exemple).

Faute de l’avoir obtenu, il ne peut qu’être considéré comme illégal. D’autres arguments tenant à la source même de ces différentes œuvres mises en ligne par les internautes eux-mêmes (à qui l’on ne demande rien sur l’origine des fichiers fournis en contravention à la loi Droits d’auteur et Droits voisins dans la Société de l’Information) pourraient également être opposés à ce site. Je préfère laisser cela aux différents spécialistes de la question qui ne manqueront sans doute pas de donner prochainement leur avis sur Internet et/ou dans des revues spécialisées.

Toujours est-il (et c’est pour cela que j’ai décidé d’écrire ce post à haute connotation juridique sur un blog que je voulais pourtant consacrer à des évènements purement factuels), cette affaire résume bien l’écart qui existe entre la vision qu'a le non-juriste (ce qu'est probablement le créateur de Deezer) de ce qu'est la légalité et la réalité du droit qui laisse finalement peu de place à l'improvisation ainsi qu'aux approximations… sous peine d’être immédiatement sanctionné par le juge.

Même si un mélomane comme moi se résout difficilement à ce que la musique ne soit pas accessible à tous, le futur avocat que je suis ne peut s’empêcher de conclure ce papier par le classique… « À bon entendeur ».

1 commentaire:

Anonyme a dit…

L’article L. 213-1 de ce code dispose, en effet, que : « Le producteur de phonogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l'initiative et la responsabilité de la première fixation d'une séquence de son. L'autorisation du producteur de phonogrammes est requise avant toute reproduction, mise à la disposition du public par la vente, l'échange ou le louage, ou communication au public de son phonogramme autres que celles mentionnées à l'article L. 214-1.».

Puisque c'est le terme "avant" qui semble vous chagriner, il serait probablement judicieux de vérifier si la mise à disposition de la musique sur deezer.com a été effectuée après l'accord enregistré avec la Sacem.

Notamment vérifier si la Sacem a procuré les séquences de son disponible sur deezer.com, après fermeture du site précédent et avant ouverture de deezer.com (ce qui semble le cas puisque deezer.com est apparu après l'accord)

D'autre part, il serait également judicieux de vérifier si ce texte est de nature impérative ou non. En effet, la tournure de ce texte laisse à penser qu'un accord privé peut suppléer à cet article, qui n'a d'intérêt que la protection des producteurs de phonogrammes. (plus simplement, effectuer des recherches sur les travaux préparatoires de la loi afin d'en retirer l'esprit du texte).

Bref, renforcer ses sources en premier lieu, et vérifier (au moins) ces deux éléments avant de se permettre de distribuer des bon points sur les qualités de juriste des protagonistes de cette affaire...

Etre un bon avocat, ce n'est pas savoir attaquer, c'est aussi savoir désamorcer la défense de notre adversaire juridique.

(cliquer sur le lien de l'article L214-1 du code de propriété intellectuel sur légifrance serait également instructif...)